Discours de JEAN SAUVÉE

Nov 8, 2021

À l’occasion de la venue du lieutenant de vaisseau-aviateur Joseph LE BRIX à Lorient

Lycée Dupuy-de-Lôme – 12 juillet 1928

Joseph, Marie LE BRIX est né le 22 février 1899 à Baden dans le hameau de Mériadec, écrin d’où la mer s’engouffre dans le Rohu pour y rencontrer pâtures et champs de sarrasin, les deux ensembles n’étant que faiblement séparés par quelques landes et bruyères exaltantes. Fils de Joseph, Marie LE BRIX (1870-1963), quartier-maître de la flotte puis maire de Baden de 1919 à 1945 ; et de Pascaline, Marie, Anastasie LE YONDRE (1874-1956), cultivatrice. Les récits de voyage de son père lui ont donné l’envie de découvrir le monde par lui-même, de repousser des limites.

Il intègre l’École Navale, après être passé par la classe préparatoire du lycée Dupuy-de-Lôme de Lorient. Il intègre la flotte à la fin de la guerre et sera promu lieutenant de vaisseau de 1ere classe en 1924 en intégrant la flotte des officiers d’aéronautique. Il participe à la guerre du Rif (1925-1926) parmi ces pionniers de l’aviation de guerre au sein de l’escadrille 5.B.2 d’Agadir. Fait chevalier de la Légion d’Honneur puis officier des mains du président de la République Gaston Doumergue le 15 avril 1928 à Rambouillet. Il est alors lieutenant de vaisseau – pilote aviateur. Georges Leygues, ministre de la marine de la marine le décrit ainsi le 18 octobre 1927 lors de sa promotion au rang d’officier de la Légion d’Honneur :
« Officier Aviateur plein d’énergie, de courage et de sang-froid. A constamment fait preuve de la plus grande valeur professionnelle au cours de la campagne du Maroc et dans l’exécution d’une reconnaissance photographique très pénible des côtes françaises de Mauritanie. S’est acquis de nouveaux titres à la récompense proposée pour lui, en réalisant brillamment la première liaison aérienne entre l’Afrique Occidentale et l’Amérique du Sud. »

Il est vrai que son travail au cours de la guerre du Maroc fut considérable puisqu’il photographia toute la côte entre Agadir et Dakar en réalisant plus de 4 000 clichés à bord de son Farman F.60 Goliath. La traversée d’entre Dakar et Rio de Janeiro se fera sans escale sur 3 400 kilomètres est un succès retentissant. Exploit qu’il réalisa en octobre 1927 avec son camarade Dieudonné Costes à bord d’un Bréguet 1685 baptisé « Nungesser-et-Coli » et dont le succès de leur mission ne pouvait faire meilleur hommage à ces deux pionniers disparus en mai de la même année. Les conditions difficiles et leurs instruments sommaires ne les empêcheront pas d’atteindre la côte brésilienne à moins de 30 miles de leur objectif. Véritable exploit !
Et les autres exploits ne vont pas manquer. Les deux comparses font un tour du monde par la suite en parcourant près de 73 000 kilomètres à travers les Andes. Les accueils qui leur sont réservés sont phénoménaux, en particulier sur tout le continent américain.
Pour l’anecdote, Joseph Le Brix ne passera son permis de conduire -automobile- qu’au retour de ce tour du monde le 7 juin 1928 dans les alentours du Quai d’Orsay ( !) C’est au cours de cet été qu’il se rendra à Lorient pour visiter son ancien lycée, faisant ainsi la rencontre du jeune Jean Sauvée.
Nouvel exploit tenté en 1929, celui d’établir une ligne entre la France et l’Indochine. Il décolle le 19 février en compagnie d’Antoine Paillard et Camille-Georges Jousse du Bourget pour Saïgon. Une avarie grave va causer la chute de l’appareil en Birmanie. L’équipage s’en sort miraculeusement indemne. Il collectera plusieurs exploits au cours de cette aventure. Il retente la même année au mois de décembre cette liaison, en compagnie de Maurice Rossi, en échouant de la même manière dans la même région birmane.
En 1930 il tente une liaison Paris-Tokyo en compagnie des expérimentés Réné Mesmin et Marcel Doret, mais leur avion subira une avarie grave en arrivant sur l’Oural. L’avion percute le sol, l’équipage s’en sort indemne. Mais cela peut être vu comme un triste présage puisque l’année suivante, le même équipage tente à nouveau l’exploit en partant le 11 septembre 1931 du Bourget à bord d’un Dewoitine D.33 « Trait d’Union », financé par le milliardaire François Coty. Une violente tempête au-dessus de l’Oural va projeter l’appareil au sol, laissant uniquement le temps à Doret de sauter en parachute. Celui de Mesmin ayant le sien visiblement inopérant, Le Brix décida dans la plus pure tradition de marine de rester à bord avec son équipier condamné pour l’accompagner dans la mort. Leurs disparitions bouleversent la France entière au cours d’une cérémonie solennelle donnée en Notre-Dame-de-Paris, le 26 septembre 1931. Il repose aujourd’hui parmi les siens dans le petit cimetière de Baden, son village natal.


14 juin 1928 – L’Ouest Républicain

… Quand bravos crépitants et bans répétés se furent éteints, un élève de Navale, M. Sauvée, fils du sympathique commerçant de la Bôve, prit à son tour la parole pour s’adresser à son ancien :

Cher et glorieux grand ancien.

Ce que les flottards trouvent de plus dur dans leurs concours d’admission c’est certainement la dissertation ; mais pour composer ce petit discours, les idées ne m’ont pas manqué et je crois n’avoir jamais fait avec tant de plaisir une composition.
Quelle joie de féliciter un nom de tous ses camarades, un ancien qui a réalisé tant d’exploits glorieux, qui d’une seule envolée a relié deux continents, qui a apporté à tous les peuples le salut de la France. Tous ici, des plus petits aux plus grands, nous avons suivi vos longs coups d’aile, depuis votre départ du Bourget, au-dessus de l’Atlantique Sud, des deux Amériques, enfin jusqu’à votre retour triomphal à Paris.
Quel courage, quelle audace, quelle témérité ! Tel Icare chanté par Ovide, vous vous êtes lancé à la conquête de l’air. La nature avait vaincu l’homme, mais vous, à l’aide d’un compagnon compétent, adroit, mettant son habileté de pilote au service de votre science de marin, vous avez vaincu les éléments. Aussi avons-nous applaudi avec orgueil à votre plein succès.
Nous ne pouvions cependant pas laisser passer votre visite à votre vieux Lycée, sans vous en laisser un souvenir digne de notre hommage. Le buste que nous vous apportons est celui d’un héros grec, le jeune Achille, fils de la déesse de la mer, Thétis.
Tel Achille, qui dans sa jeunesse, était un brillant athlète, plein d’audace et de témérité, aussi ardent dans la guerre que dans les exploits fameux, vous vous êtes montré ardent guerrier dans cette affreuse guerre du Maroc.
Vous vous y êtes couvert d’une gloire plus discrète que celle qui vient de vous mettre en évidence durant ces derniers mois, non moins méritoire cependant.
Combattant pour l’humanité, reliant les continents pour le progrès, vous êtes digne de toute l’admiration enthousiaste que vous ont faite les différents peuples chez qui vous avez posé votre grand oiseau aux cocardes tricolores.
Vous avez fait honneur à la France, à la Bretagne, à la Marine, etc… Cet honneur rejaillit sur votre vieux Lycée. Il vous dit merci de tout cœur ; entendez sa voix, nous vous crions tous : « Vive Le Brix ! »

Les dernières paroles saluées par d’unanimes et chaleureux applaudissements, Joseph Le Brix remercia ses camarades du plus profond du cœur et dit en quelques mots les bons souvenirs qu’il gardait son passage au Lycée.
Il tint à dire qu’une étoile l’avait guidée dans la vie : l’ambition d’être digne d’un autre ancien du Lycée, l’aviateur Paul Teste et, en souvenir de celui-ci et de sa mort héroïque, il demanda qu’une minute de silence fut observée. Et il en fut ainsi.
En compagnie des personnalités qui l’entourent, l’aviateur Le Brix se rend dans la salle d’études où il prépara l’École Navale et nous y pénétrons également.


SOURCES :

  • LH//1522/15 – Dossier individuel Légion d’Honneur, Joseph LE BRIX (1899-1931)
  • L’Ouest Républicain, 14 juin 1928, p. 1.
  • L’Intransigeant, 6 août 1927, p. 3.
  • La Patrie, 7 juin 1928, p. 1.
  • L’Ami du Peuple, 29 septembre 1931, p. 1.
  • BOISSIÈRE, Paul, Joseph-Marie Le Brix (1899-1931), « Un jeune Breton héroïque défricheur de routes aériennes », Cercle des armées, discours.

PHOTOGRAPHIES :

  • À gauche : Joseph Le Brix sur le tarmac du Bourget en 1931, détail, BnF, département Estampes et photographie, EI-13 (2884), Le Bourget : le « Trait d’Union II » ; de gauche à droite : Mesmin, Le Brix, Doret (portrait à 3 m) : [photographie de presse] / Agence Meurisse.
  • À droite : Jean Sauvée à l’âge de 25 ans environ, Fondation maritime Jean Sauvée.

Romain Hammel
Historien-chercheur