TABARLY (Éric) Lettre autographe signée

Nov 8, 2021

S. l. [Saint Maixent l’École], 19 mai 1965.
4 p. sur 2 ff. in-folio (27 x 21 cm), 1 enveloppe

TABARLY (É.). LAS à Monsieur [Jean Dauven]. , 4 pp. in-40 à l’encre bleue, datées « 19-5-65 ». Enveloppe conservée, à l’adresse de « Monsieur Jean Dauven, 55 rue Boileau, Paris 16ème » ; oblitération : Saint-Maixent-l’École, 20-5-1965.
3 500 €

Rare et intéressante lettre d’Éric Tabarly (1931-1998), récent vainqueur de la Transat anglaise en solitaire 1964 (sur Pen Duick II : 27 jours 3 heures et 56 minutes pour rallier Newport (U.S.A) depuis Plymouth (R.-U.)).
II répond dans l’ordre aux questions que lui a posées le journaliste Jean Dauven, probablement en vue de préparer l’article, « L’Exploit de Tabarly », qui parut dans le no 145 du Monde et la vie (juin 1965).

Après avoir précisé que « la course en solitaire transatlantique s’apparente tout à fait à la course-croisière », Tabarly caractérise « le solitaire [qui ayant tout à faire] devra […] être très complet [quand] un skeeper [sic] de course croisière peut se contenter d’être très bon navigateur et tacticien et se reposer sur son équipage pour la manœuvre ».
II écrit qu’il n’a pas « bouleversé la conception de la course-croisière en « souquant » d’un bout à l’autre [, puisque] c’est déjà comme cela [qu’elle] se déroule et que c’est le seul moyen d’y obtenir de bons résultats ».
On apprend qu’il a « perdu du temps [au minimum 24 heures] du fait de [son] avarie de pilote automatique ». Cependant, « les vents […] ont été exceptionnellement favorables il ne faut [donc] pas compter pouvoir avoir des conditions meilleures ».
Techniquement, il pense que « le spi n’est pas du tout indispensable » et il aurait gagné « même sans lui ». En outre, il est persuadé que « la taille des bateaux va croitre » et « la surface de cette voile deviendr[a] trop importante pour un solitaire.

Il insiste sur le fait que, pendant la course, « les vents furent plus favorables que prévu ». En conséquence, il ne faut « attacher aucune importance à [son] record de 27 jours ».
Il explique encore que « souquer un bateau ne veut pas dire le charger de toile de façon déraisonnable Le plus important est d’« ajuster constamment sa toile au vent [quitte à faire] des manœuvres fréquentes et donc à se fatiguer un peu »… Il confirme qu’il est bien arrivé à Newport sans passeport. En revanche, « les couleurs de [ses] spis n’ont aucune signification [:] un spi blanc avec du soleil devient vite presqu’intolérable pour les yeux [il] n’aime pas les lunettes de soleil).
Pour finir, il espère avoir répondu aux questions de son correspondant et se réjouit qu’ainsi celui-ci pourra « éviter [de répéter] les énormités […] écrites par certains de [ses] confrères »… Il avoue toutefois, non sans humour, que si tous l’avaient ainsi interrogé, il « n’aurai[t] pas pu [leur] répondre».

Journaliste sportif, qui collabora, entre autres, au Figaro, Jean Dauven (1900-1990) avait été champion de bobsleigh dans les années 1930 (participant aux JO d’hiver de 1936 à Garmisch-Partenkirchen, il termina 9e de l’épreuve de bob à 4).

Dimensions : 269 x 210 mm.

Provenance : Jean Dauven.

Transcription
Éric Tabarly Le 19-5-65
Monsieur,
Je m ‘excuse de répondre avec un certain [/] retard à votre lettre du 28-4.
Je reprends vos questions dans I ‘ordre :
1) Je ne pense pas que l’on s’oriente vers [/] deux sortes de régatiers, vitesse et fond. Il y a [/] déjà deux sortes de compétitions : la régate pure [/] autour de bouées avec des bateaux de même [/] type et la course croisière ou course océanique. [/] La distinction là n ‘est pas une question de vitesse [/] car on court souvent en course croisière avec [/] des bateaux plus rapides que les bateaux de [/] régate. La distinction réside surtout dans [/] les genres totalement différents de ces épreuves. [/] la course en solitaire transatlantique s ‘apparente [/] tout à fait à la course croisière et les problèmes [/] sont pour beaucoup les mêmes. Le solitaire [/] ayant tout à faire devra seulement être très [/] complet alors qu’un skeeper [sic] de course croisière [/] peut se contenter d’être très bon navigateur [/] et tacticien et se reposer sur son équipage pour [1/2] la manœuvre. Mais il est certain que parmi [/] les équipages de course-croisière on pourrait trouver [/] beaucoup d’hommes aptes à la course en solitaire.
On ne peut guère non plus parler de fond et de [/] vitesse car qui dit fond veut dire endurer. Or [/] dans les courses océaniques avec équipage [/] l’endurance demandée aux équipiers est la même que celle du solitaire chacun faisant de son [/] mieux pendant des semaines avec évidemment [/] un gain de vitesse pour le bateau à équipage nombreux.
2/ Je n’ai pas du tout bouleversé la conception [/] de la course croisière en « souquant » d’un bout [/] à l’autre. C’est déjà comme cela que se déroulent [/] les courses croisières et c’est le seul moyen [/] d’y obtenir de bons résultats.
3/ J’ai perdu du temps du fait de mon [/] avarie de pilote automatique. Combien ? c’est très difficile à évaluer avec précision mais je [/] pense avoir perdu au minimum 24 heures.
4/ Les vents pour l’Atlantique nord ont été [/] exceptionnellement favorables et il ne faut pas [/] compter pouvoir avoir des conditions meilleures.
5/ Le spi n ‘est pas du tout indispensable [/] pour gagner et j’aurai [sic] gagner [sic] même sans lui [/] car il m ‘a peut-être fait gagner 4 ou 5 heures [/] sur le trajet. Cependant si la course avait été [/] plus serrée ce sont peut-être ces quelques heures qui [/] peuvent emporter la décision et c ‘est pourquoi [/] je n ‘ai hésiter [sic] à I ‘utiliser. Pour les [/] prochaines courses il est probable que cet engin [/] ne sera pas employé car à la lumière de 1’expérience acquise la taille des bateaux va [2/3] croître et la surface de cette voile deviendrait [/] vraiment trop importante pour un solitaire. Pour [/] le vente arrière je pense arriver à trouver une [/] voilure plus maniable et ayant un aussi bon [/] rendement.
6/ Il faut en effet s’attendre à une lutte [/] plus serrée mais ceci ne veut pas dire que l’on ira [/] plus vite. Comme je le disais au 4ement les [/] vents furent plus favorables que prévu. Il est [/] donc possible de courir la prochaine course avec [/] un bateau plus rapide en travaillant tout autant [sic] [/] et mettre plus de temps avec des conditions plus [/] normales. C ‘est pour cela qu’il ne faut attacher [/] aucune importance à mon record de 27 jours [/] qui a pourtant fait grosse impression- Les vitesses [/] à la voile dépendent trop du type de temps [/] rencontré pour que cela signifie grand’chose.
7/ La course ne sera pas forcément plus [/] dangereuse pour cela. Souquet un bateau [/] ne veut pas dire le charger de toile de façon [/] déraisonnable. Dans ces cas-là on perd du temps [/] car le bateau trop gité perd de la vitesse. Il [/] faut ajuster constamment sa toile au vent ce qui [/] oblige à des manœuvres fréquentes et donc à se [/] fatiguer un peu. Ce qui est surtout très important [/] c’est de ne pas perdre de temps pour renvoyer [/] de la toile dès que I « on s ‘aperçoit d’une tendance [/] du vent à mollir. C’est souvent assez pénible [/] lorsque l’on vient d’être malmené par du mauvais [/] temps et l’on est tenté d’attendre carrément [3/4] 1’embellie pour cette manœuvre aussi pendant [/] plusieurs heures le bateau se trouve un peu [/] sous-voilé et la vitesse s’en ressent. L’inconvénient [/] de renvoyer de la toile très tôt est d’être souvent [/] obligé de la rentrer peu de temps après car on [/] n’avait [sic] à faire qu’à une acalmie [sic] passagère. C’est [/] cependant un risque à courir tand [sicl que l’on se [/] sent encore en forme car il est évident que [/] si l’on est fatigué il serait idiot de s ‘épuiser [/] complètement pour une manœuvre qui risque [/] de faire gagner que très peu de temps.
Enfin il est bien exact que je n ‘avais pas [/] de passeport et les couleurs de mes spis n ‘ont [/] aucune signification, Il faut surtout éviter le blanc [/] dans un spi car barrer plusieurs heures en [/] surveillant un spi blanc avec du soleil devient [/] vite presqu’intolérable pour les yeux (je n ‘aime pas [/] les lunettes de soleil).
J’espère avoir répondu à vos questions et [/] vous remercie de me les avoir posées car vous [/] pourrez ainsi éviter j’espère les énormités qui [/] ont été écrites par certains de vos confrères. D’un [/] autre côté heureusement qu’ils ne m’ont pas tous [/] interrogé car je n ‘aurais pas pu répondre.
Veuillez croire, Monsieur, à l’assurance de mes salutations distinguées.
E. Tabarly