Le Bouguer – Traité du navire, de sa construction, de ses mouvements.

Oct 22, 2019

BOUGUER (P.).

À Paris, Chez Jombert, 1746, in-4°, maroquin rouge, triple filet doré autour des plats, fleuron aux angles, armes au centre, dos à nerfs orné, roulette intérieure dorée, tranches dorées (reliure de l’époque).

ÉDITION ORIGINALE de ce traité qui marque la naissance de l’architecture navale scientifique.

Hydrographe du roi, mathématicien, physicien et ingénieur nautique.

Pierre Bouguer (1698-1758) est originaire du Croisic, où son père Jean Bouguer (1652-1714), qui, en 1698, a publié un important Traité de navigation, dirige l’école d’hydrographie. Dès sa prime jeunesse, Pierre se passionne pour les sciences (mathématiques, astronomie, hydrographie…). À seize ans, il assure ses premiers cours à l’école d’hydrographie. Lecteur attentif de Leibniz et de Newton, il applique très tôt les mathématiques à des domaines aussi divers que la construction des bateaux ou l’astronomie. Dès 1727, il publie un premier traité d’architecture navale, De la mâture des vaisseaux, sur la manière de former et de distribuer les mâts des navires – l’ouvrage est primé par l’Académie des sciences. Deux ans plus tard, c’est une méthode de calcul de la hauteur des astres sur la mer. En 1730, il est nommé hydrographe du roi au Havre.
L’Académie des sciences l’accueille en son sein en 1734. De nombreuses sciences bénéficient aujourd’hui encore de ses découvertes : entre autres, les mathématiques, avec ce que l’on nomme la courbe de poursuite, ou la photométrie, par la première formulation de la loi de Beer-Lambert-Bouguer.

Le père de l’architecture navale moderne.

Le 16 mai 1735, Pierre Bouguer s’embarque en qualité de mathématicien et physicien de l’expédition que Louis XV envoie au Pérou (Audience royale de Quito, aujourd’hui République d’Équateur) pour y mesurer un arc du méridien terrestre et déterminer si, comme l’a écrit Newton, le globe terrestre est renflé à l’équateur et aplati aux pôles. Les résultats de cette mission furent publiés en 1749 sous le titre La Figure de la terre. D’Alembert écrivit de cette expédition qu’elle avait été
« l’entreprise la plus grandiose que les sciences aient jamais tentée ».
Toutefois, pendant les quelque dix ans que Bouguer passa hors de France, son attention ne resta pas cantonnée aux termes de la mission royale. Les questions navales continuèrent d’occuper son esprit. Ainsi les travaux qu’il put mener lorsqu’il disposa de quelque loisir, lui permirent, deux ans à peine après son retour en France, de publier son Traité du navire, « un ouvrage monumental qui [allait radicalement transformer] la science de la construction navale ». La qualité de son approche mathématique, en particulier géométrique, de la construction des vaisseaux aussi bien que de la navigation, les concepts novateurs qu’il élabore – parmi lesquels, la notion de métacentre – contribueront à élever l’architecture navale au rang de science. Dans son étude sur le Traité du navire, Ferreiro écrit que celui-ci contient « nombre de concepts qui étaient vraiment révolutionnaires, c’est-à-dire qui n’avaient aucun précédent dans aucun des livres traitant jusque-là d’architecture navale ».
Dès sa parution, le traité de Bouguer acquit une renommée immédiate qui « s’étendit au monde entier ». Moins de dix ans plus tard, il était traduit en anglais. Pendant des décennies, il servit de référence aux travaux de ses continuateurs : Euler, Bernoulli, Chapman, Borda, D’Alembert ou encore Duhamel du Monceau.

l’entreprise la plus grandiose que les sciences aient jamais tentée

D’Alembert

12 planches dépliantes, gravées sur cuivre, offrant 122 figures techniques, un bandeau gravé aux armes de Maurepas en tête de la dédicace, et 3 bandeaux gravés par Pierre-Quentin Chédel (1705-1762), représentant des scènes navales et placés en tête des trois parties de l’ouvrage.

Précieux exemplaire de dédicace relié aux armes de Phélipeaux de Maurepas, ministre de la Marine de Louis XV.

Jean-Frédéric Phélipeaux (1701-1781), comte de Maurepas, entra au gouvernement de Louis XV à quatorze ans et il y resta jusqu’à sa disgrâce de 1749. Après une retraite forcée de vingt-cinq ans, il revint aux affaires à l’avènement de Louis XVI et ne les quitta plus jusqu’à sa mort en 1781. Successivement en charge de la maison du roi sous Louis XV et chef du conseil des Finances de Louis XVI, c’est cependant en tant que ministre de la Marine de Louis XV qu’il joua son rôle le plus déterminant. S’il ne put reprendre l’oeuvre de Colbert en faveur de la marine de guerre, profondément convaincu de la nécessité d’un commerce puissant il donna une impulsion décisive à la marine marchande. Le développement de la marine étant à ses yeux étroitement lié à celui des sciences, il organisa, pour le compte du roi, de nombreuses expéditions scientifiques, dont celle du Pérou – avec Bouguer –, et s’attacha également de nombreux savants dont il encouragea très attentivement les travaux.
Maurepas découvrit les recherches de Bouguer touchant à la marine vers 1727, au moment où celui-ci publiait son traité sur la mâture. Dès cette date, une correspondance s’établit entre les deux hommes, qui en dépit de leur différence de rang social manifeste très vite une mutuelle confiance. Bouguer dut à Maurepas de prendre part à l’expédition du Pérou. Dans sa dédicace du Traité du navire, il écrit que pendant tout le temps de la mission il poursuivit ses recherches personnelles sur l’architecture navale. Il résolut alors d’en offrir les résultats à Maurepas, non comme l’hommage obligé de l’hydrographe du roi au ministre de la Marine, mais en témoignage de sa gratitude pour tous les bienfaits dont celui-ci l’avait comblé.
Un exemplaire de l’édition de 1706 du Traité de navigation de Jean Bouguer (1652-1714) se trouvait également au catalogue de la vente Maurepas, qui, en revanche, ne comportait aucun autre ouvrage de Pierre Bouguer.

Au XXe siècle, l’ouvrage appartint à Haskell F. Norman, qui avait réuni l’une des plus fameuses collections de livres scientifiques, notamment remarquables par leur condition. Trois autres traités de Pierre Bouguer sont décrits au catalogue : Essai d’optique, sur la gradation de la lumière (Jombert, 1729), La Figure de la terre, déterminée par les observations… [Expédition à l’équateur] (Jombert, 1749) et Traité d’optique sur la gradation de la lumière (Guérin & Delatour, 1760).

 

Dimensions :251 x 191 mm.

Provenance : Jean-Frédéric Phélypeaux de Maurepas (Cat., 1746, n° 161 : « m[aroquin] r[ouge] » ; aucun autre ouvrage de Bouguer ne figure au catalogue) ; librairie Georges Heilbrun (Cat. XXVI, n° 40) ; Haskell F. Norman (Cat. II, New York, 15-16 june 1998, n° 319, avec reproduction), avec son ex-libris ; collection privée.

 

Polak, n° 1050 ; DSB, I, 343-344 ; Singer, Technology, IV, p. 577 ; Hook (D. H.) – Norman (J. M.), The Haskell F. Norman Library of Science & Medicine, I, San Francisco, J. Norman & Co., 1991, pp. 104-105, n° 284 (« Bouguer was among the first to investigate mathematical principles in relation to shipbuilding, and to devise methods for calculating displacement and stability ») ; […], Pierre Bouguer. Un savant breton au XVIIIe siècle. Actes de la journée d’étude : La vie et l’oeuvre de Pierre Bouguer, Vannes, Institut culturel de Bretagne, 2002, passim et plus particulièrement l’article de L. D. Ferreiro, « Bouguer au Pérou. Comment l’architecture navale est descendue des montagnes », pp. 101-148 ; Maurepas (A. de) – Boulant (A.), Les Ministres et les ministères du siècle des Lumières, 1715-1789, Christian / JAS, 1996, pp. 283-289 ; Olivier, pl. 2265, fer n° 1.